Chicago, ville parmi tant d'autres de ce pays. Grande ville, petite ville, pleine de joie et de tristesse. Qui eu cru que je finirais un jour par vivre dans cette ville, moi, la fille du Michigan qui avait juré de ne jamais quitter mon état luxuriant. Pourtant la vie est ainsi faite. Rien n'est acquis, rien n'est prévisible. Faire des plans, vouloir s'y tenir, espérer que la vie se comportera et se déroulera comme on l'a prévu. Quelle farce. Quel espoir inégalée dans sa capacité divine. Je ne suis rien de plus qu'une fillette rêvant d'un monde qui n'existe pas et ayant payé le prix de ses rêves.
Tout avait pourtant si bien commencé. Une maison dans une ville moyenne du Michigan. Des arbres à perte de vue, une communauté soudée et une famille heureuse. J'avais tout pour réussir, tout pour être heureuse, alors comment est-ce que j'en suis arrivée à m'expatrier de ma ville, à n'appeler ma mère qu'une fois par semaine si j'y pense, à chercher à effacer mes souvenirs de cette ville qui m'a vu naitre et grandir ?

Mes parents m'ont pourtant aimé, désirée. J'étais choyée, ma fratrie m'aimait même si, parfois, nous nous chamaillons.Cette petite ville aurait elle le goût du secret et du non-dit ? Peut-être. J'étais une enfant joyeuse et pleine de vie. Une enfant qui rêvait d'un monde empli de bonté et de magie. La forêt était magique, emplie de fées, de centaures et autres créatures superbes, je me voyais déjà grandir et vivre dans cette ville. Etre heureux, marié, mère de plusieurs enfants, la vie parfaite du rêve américain. N'est-ce pas ce dont nous rêvons tous ? Être heureux ? Non, j'étais au-delà du bonheur. Je rêvais de cette vie que l'on voit dans les magazine et dans les téléfilms, sans comprendre que ce n'était là qu'illusion et tromperie, que la vérité était tout autre. Je l'ai appris à mes dépens.
Ça a commencé alors que j'avais douze ans. Des vacances avec mes parents, mon frère, ma sœur. Ils voulaient tous faire un tour en bateau, mais moi, je ne voulais pas. Je n'avais pas envie d'aller sur ce bateau, d'être perdu au milieu de l'océan. Apres tout, je n'étais pas si bonne en natation et je ne voulais pas me mouiller. Alors je suis restée sur la terre ferme avec mon père. J'aurais dû aller sur ce bateau.

Cela se produisit. Etais-ce ma faute ?Etais ce moi qui avais provoqué cela ? Il s'excusa par la suite ne savait ce qu'il lui avait pris, n'aurait jamais fait de mal à sa petite fleur. Mais le mal était fait et sa solution était de tout dire à ma mère. Mais que penserait-elle ? Elle me haïrait, dirait que ce serait ma faute, que c'était moi, qui l'avais séduit avec ma jeunesse, mon maillot de bain échancré. C'était ma faute, elle me rejetterait, m'abandonnerait. Alors j'ai conclu ce pacte. Nous n'en parlerions jamais. Cela n'avait pas existé, ne s'était pas passé. C'était aussi simple. Oublier, prétendre que tout cela n'était qu'un rêve jusqu'à s'en persuader soi-même. Et grandir avec la peur au ventre. Tout faire pour ne pas se retrouver seule avec papa, mais ça arrivait parfois et encore une fois, il disait que c'était ma faute. Faisait-il la même chose à ma petite sœur ? Je me suis renfermée sur moi-même, timide, introvertie alors que je fleurissais telle la rose dont je tenais le nom. Jeune fille je tentais d'oublier, de dissimuler tout cela, de ne rien laissait paraître. J'étais enjouée, souriante, rieuse. J'étais devenue une fille sur qui les garçons se retournent dans les couloirs du lycée, une fille qui agite des pompons durant les matchs de basket du lycée et j'en étais fière. J'aimais cela, faire partie de cette élite lycéenne que sont les gens populaires, les pom-pom girls. C'était stupide. L'uniforme ne faisait que rendre mon père plus attiré par moi. C'était ma faute. Je cherchais tout cela, j'avais beau faire mon possible pour oublier, pour avancer, chacun de mes actes résonnait comme si je cherchais cette punition encore et toujours. Je repoussais ainsi les garçons du lycée, parfois violemment. L'homme est un porc, un démon. Je ne voulais pas subir cela encore, je ne voulais pas qu'un garçon découvre ce secret, j'étais devenue la reine des glaçons. La fille qui disait non à tous, ne se laissait approcher par aucun de ces mâles adolescents en rut. Peut-être aurais-je dû avoir un petit ami. Laisser un garçon s'approcher de moi. Cela les aurait peut-être calmés, à moins que ce ne soit cette ville qui change les garçons en démons. J'avais accepté pour une amie de prendre un cavalier pour le bal du lycée. Le meilleur ami de son petit ami. Je n'ai jamais atteint le bal.Quand je suis rentrée au petit matin, la robe souillée, les joues ruisselantes, mon père me dit que je l'avais cherché et que je n'étais qu'une putain.

Ma mère...qu'il fallait que j'arrête de jouer ainsi avec les garçons et que me faire passer pour une victime ne servais à rien. J'ai voulu porter plainte, mais personne ne me cru. J'étais la putain du lycée. Déchue de mon piédestal doré. J'étais cette fille qui se faisait passer pour une sainte mais c'était envoyé plusieurs garçons le soir du bal. Ma vie a tourné au cauchemar, à l'enfer. Raillée dans les couloirs, moquée, blessée, j'ai tenté de fuir tout cela sans succès.
Je suis devenue la honte de ma famille. Mon frère me regardait avec mépris, ma sœur ne voulait plus que je me dise sa sœur. Alors, j'ai passé le lycée et suis partie. Disparue. J'avais obtenu une bourse pour une université de Pennsylvanie, travaillée comme serveuse à côté pour payer ce que la bourse ne permettait pas et me tuée à la tache pour obtenir mon diplôme, ne me liant à mes camarades que très légèrement, juste ce qu'il fallait pour qu'on me laisse tranquille, trouvant la parade aux garçons en servant de couverture à un ami homosexuel. La vie commençait ainsi à devenir tolérable et je me suis mise à rêver d'un avenir meilleur. Ça aurait été merveilleux si ma sœur n'avait pas entreprit la même tentative de fuite que moi, mais avec succès. Après mon départ, notre père s'était rabattu sur elle, charognard immonde. Elle n'avait pas supporté et avait préféré en finir.
Bien sûr cela entraina la fin d'un monde. Divorce, plainte, tribunal et rancoeur. La lettre qu'avait laissée ma sœur m'incriminait. Il m'avait fait la même chose et je ne l'avais dit à personne. C'était ma faute si elle s'était suicidée. Ma faute car je n'avais jamais parlé. Mais qui m'aurait cru ?
Mon père fini en prison, ma mère, me parle à peine, femme blessée et meurtrie dont le mari abandonné le lit conjugal pour ses filles et mon frère...mon frère sembla comprendre beaucoup de choses sur mon attitude et me demanda pardon. Un pardon que je n'ai pas su accepter, trop blessée que j'étais, trop meurtrie.


Alors je fuis de nouveau, passant d'état en état, mon diplôme d'enseignante en poche. J'allais là où les postes se libéraient, découvrant le pays, les états, les petites villes. Restant cette gentille institutrice discrète qui venait surtout pour remplacer des professeurs enceintes et disparaissantes à la fin de l'année scolaire. Je n'avais pas de chez, pas de point d'attache, du moins jusqu'à maintenant ; jusqu'à cette École de Chicago qui m'a demandé de rester, qui m'a ouvert un poste et allait savoir pourquoi, j'ai dit oui ; peut-être suis-je las de fuir encore et toujours. Peut-être ai-je envie de tenter de vivre. Peut etre...peut être...